Le ciel est encore couvert, avare de lumières et de couleurs. Tandis que la ville noire a déjà repris son activité depuis quelques heures, la ville blanche est toujours endormie. Je croise par hasard un étrange cortège qui avance solennel, au rythme d’une musique lancinante. Au sommet d’un brancard surélevé, j’ai le temps de distinguer le corps sans vie d’une femme âgée qu’on promène pour son dernier voyage… Rue de la Marine, j’arrête mon chemin devant les murs d’une imposante demeure coloniale. Ce fut autrefois la résidence de Sri Aurobindo et de « la mère ». Personnages incontournables de Pondichéry, ils sont pour beaucoup dans la renommée internationale de la ville. Poète et philosophe bengali, engagé politiquement pour l’indépendance du pays dès le début du siècle, Sri Aurobindo a fondé à Pondichéry un ashram, communauté destinée à transmettre et faire prospérer ses théories. Grand spécialiste du Yoga, il décidera de se consacrer pleinement à ses travaux et confiera les affaires courantes de la communauté à « la mère », l’une des ses proches collaboratrices d’origine française qui deviendra sa femme. Elle dirigera la communauté avec efficacité durant de longues années. Disparue en 1973 à l’age de 95 ans, « la mère » conserve aujourd’hui une image très forte au sein de la population locale qui tend même à surpasser celle du maître en terme de popularité.

Autant le dire tout de suite, ce genre de communauté n’est pas ma tasse de thé, mais l’activité qu’elle génère semble avoir une impact économique majeur sur la ville. Je pénètre dans la cour de la maison où « la mère » est enterrée. Le jardin est paisible et abondamment fleuri. Que dire de sa tombe, superbement décorée par des couronnes de fleurs finement élaborées. Des dizaines de fidèles se prosternent agenouillés à ses pieds. J’observe en silence leur recueillement et la douleur qu’exprime leur visage. Interpellé par ce spectacle, je ne souhaite pas m’attarder. Je préfère m’engouffrer à l’intérieur de la bâtisse et consulter les ouvrages du philosophe mis à disposition par la bibliothèque du centre. On trouve vraiment de tout : difficile de nier l’abondance de son œuvre ! Les écrits du maître sont logiquement orientés autour de l’interprétation des textes fondamentaux de l’hindouisme, ou traitent de pratiques méditatives telles que le Yoga. Ne vous en déplaise, je repartirais les mains vides. Par chance le bureau de poste est attenant à la propriété. La visite terminée, j’oblitère mes enveloppes qui finiront dans une grosse boite rouge direction la France. Alors que je colle mes timbres, une jeune sourde et muette cherche à me soutirer quelques roupies en me faisant lire un texte maladroitement tourné.

Au bout de la rue, sur le front de mer, la statue du Mahatma n’a pas changée de place. Devant Notre Dame des Anges dont la façade ensoleillée illumine la jetée, je me pose sur un vieux banc défraîchi et absorbe avec un bonheur non feint quelques pleines rasades d’eau minérale. La ville blanche parait comme arrêtée, presque sans vie. Les habitants de Pondi ne semblent pas avoir conservé grand-chose du mode de vie à la française. On dit d’ailleurs que la ville s’indianise à grande vitesse. Ces premières heures de découverte me confortent dans ce sentiment. Près de la place du gouvernement où siège le pouvoir local, je rentre dans un bâtiment début de siècle dans le plus pur style colonial. C’est le musée de la ville. Ses collections sont modestes mais je suis captivé par la salle des bronzes Cholas. Je suis particulièrement impressionné par la souplesse des postures, la finesse des détails et l’harmonie des corps. Autre curiosité de l’endroit, c’est l’occasion d’observer le lit où dormit le fameux Dupleix, gouverneur du territoire de Pondichéry à l’apogée des Indes Orientales mais dont les rêves d’empire furent brisés par le trop faible soutien des autorités Française de l’époque.

Je décide ensuite de faire un détour par la maison d’édition Kailash, qui outre sa boutique du quartier latin possède son siège social à Pondichéry. Je fouine dans les étagères et craque pour un ou deux bouquins aux couvertures si caractéristiques. La maison d’édition est hébergée dans une magnifique demeure à colonnade envahie de plantes tropicales : un régal ! Dernier épisode de ma visite matinale : l’usine « Sri Aurobindo » de fabrication de papier artisanal. Dès que je glisse mon nez dans l’entrepôt, je suis pris en charge par un petit homme aux jambes arquées et aux tibias étrangement rouges. Il va m’expliquer les différentes étapes de la fabrication de ce papier de qualité supérieure. C’est assez sympa à voir et les résultats obtenus en fonction du mélange de base sont à la hauteur. A la fin de sa présentation, l’homme me fait don de toute une série d’échantillons : à la coco, au thé, à la toile de jute, au coton. Ma préférence ira tout de même à ce papier au ton pastel qui mêle harmonieusement des pétales de petites fleurs roses …

Midi, je retourne à l’hôtel reprendre mes esprits. Sur Mission Street, parti à la recherche du « Big market », je suis soudainement attiré par le bruit répété de détonations. Devant la permanence électorale du parti du Congrès, une limousine s’est arrêtée et on salue l’arrivée d’un VIP par des rafales de pétards ! Le soleil fait son effet d’autant que je ne porte pas de casquette. Je passe Nehru Street : ce ne devrait plus être loin ! Sur le trottoir d’en face quelques étals dissimulent une porte en fer. Traversant la rue avec une petite dose d’inconscience, je franchis la grille pour entrer dans un nouveau monde. A la différence des marchés du sud est asiatique, l’odeur qui se dégage des lieux est une excellente surprise. Il faut dire que c’est le coin des fleurs pour les temples. Des dizaines de gens tressent des couronnes multicolores pour les offrir aux dieux : un spectacle somptueux ! En plus, ils ne rechignent pas à être photographiés, au contraire, ils en redemandent. Le coin des légumes frais vaut également le déplacement. Heureux de ma trouvaille, j’erre dans les allées et les contres allés du marché pendant une bonne vingtaine de minutes.

Puis vient le temps du déjeuner. A quelques pas d’ici, je m’engouffre dans l’Indian Coffe House qui propose toute sorte de snacks. C’est très « couleur locale » si vous voyez ce que je veux dire. Je suis le seul occidental. Pas de Dosai ce midi, donnez moi du Kormai chapati ! En fait, je ne sais pas trop ce que j’ai commandé. Une sorte de riz frit aux légumes arrivera sur la table. Je le mange du bout des lèvres ayant du mal à identifier certaines de ses composantes. Mais la découverte du jour, c’est le café de l’inde du sud. J’en ingurgiterais trois de suite. Cultivé au Karnataka, il est ici plus populaire que le thé et je comprends pourquoi.

Petite douche vite fait bien fait et je retrouve Shan à l’hôtel pour entamer la visite d’Auroreville. Initialement, je n’avais pas la volonté de visiter l’ashram, mais j’ai finalement décidé d’aller voir de quoi il retourne réellement. A une dizaine de kilomètres de Pondichéry, au milieu de nulle part a été créée une communauté sensée accueillir toute personne partageant ses idées de progrès et de tolérance. Cela sent la secte à plein nez même si cette notion en Inde n’a pas la même connotation que dans nos contrées. Ce qui frappe tout d’abord c’est que les nombreux occidentaux que l’on croise en scooter ont un look très « bobo » ! Au Visitor center, une exposition rappelle les principes et les actions de l’ashram. Sur le papier, tout n’est pas à jeter. Ils ont une chouette boutique d’artisanat et un bar sympa auquel je m’attable pour descendre un litre d’eau minérale. La commande fut fort difficile à obtenir : un sale gamin occidental de 5 ans, m’étant passé devant en me bousculant avant d’accaparer le serveur pendant 5 bonnes minutes. S’ils sont tous comme lui dans l’ashram, je ne plébiscite pas les méthodes d’éducation employées !

J’ai certainement tendance à trop traîner au bar car Shan est venu m’alerter que les horaires d’ouverture du Matramandir allaient bientôt s’achever … J’avoue que la visite du centre de méditation expérimentale a de quoi laisser perplexe. On me demande trois fois de montrer mon ticket sur lequel est inscrit mon nom et les conseils de « la mère » pour pleinement apprécier la visite. Une longue file humaine s’est formée. Pas de sac, pas d’appareil. Nous avançons dans un luxuriant jardin. Puis il faut se déchausser : je vais encore pourrir mes chaussettes ! Soudain, c’est la vision, la Matramandir, une soucoupe volante sortie tout droit d’un mauvais film de science fiction des années 70 : surréaliste ! On monte une rampe en colimaçon dans un silence absolu, les gardiens nous l’ont assez répété. Puis enfin arrivent les 10 secondes tant attendues. On pénètre furtivement dans le saint des saints, une salle sphérique blanche où la température doit avoisiner les 15 °C, à la luminosité éblouissante et où trône en son centre un étrange objet. Mais on a juste le droit de la contempler furtivement car on est ensuite rapidement happé par le flot sortant des visiteurs. De quoi rester sans voix…

De retour sur Pondi, Shan me dépose sur « Governement place » et je décide d’aller chiner dans les nombreux magasins d’antiquité du coin. J’achète quelques babioles et pas mécontent de mes trouvailles, regagne dans la pénombre mon hôtel. J’éprouve les pires difficultés pour retrouver mon chemin mais suis finalement sauvé par un auto rickshaw qui me dépose à bon port en quelques minutes. Que cette douche fait du bien ! Les rickshaw de la ville vont tous finirent par me connaître. L’un d’entre eux me conduit pour dîner devant le restaurant Satanga. J’avais envie de me payer un bon « guelleton » Français à Pondichéry : C’est humain non ? Au programme, soupe de tomates au basilique, poulet à la crème et aux champignons, avec en fond sonore, l’intégrale d’Alain Chamfort qui tourne en boucle : « Disparu Manumanurevaaaaaaaaaaaa ! ». Un moment cocasse qui restera gravé dans mes souvenirs. De retour à l’hôtel, je squatte le bureau du patron pour envoyer quelques mails. Déjà 23 h, il est temps d’aller se coucher !

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