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28/10/2001, Piscine
du Golden Express, Bagan
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« Les visages prennent ici un autre sens. Ils ne portent plus l’emprunte ardente et pathétique de l’Inde. La structure des traits, la forme de yeux, la couleur de la peau, la placidité aimable de l’expression - tout annonce la Chine. Un autre versant de l’Asie commence : l’Extrême Orient. » Joseph Kessel, La vallée des rubis Je suis réveillé en sursaut par un terrible vacarme, comme si une machine infernale ronronnait à la porte de notre chambre. Laure aussi a été réveillée et se précipite à la fenêtre pour voir de quoi il s’agit. Dehors, c’est un véritable cataclysme : un terrible orage s’abat sur notre bungalow. On ne voit pas à deux mètres tellement la pluie tombe drue. Et dire que c’est la fin de la mousson et que Bagan est l’un des endroits les plus secs du Myanmar. A 8h précises, l’orage a baissé d’intensité et nous nous présentons dans le hall de l’hôtel où l’un des membres de la très accueillante équipe du Golden Express va nous conduire jusqu’au mont Popa, avec le van de l’hôtel. Ce piton rocheux, s’élevant à plus de 1500 m d’altitude, se trouve à 60 km de Bagan soit environ 2h de route. Il est très vénéré au Myanmar car c’est la demeure des Nats, ces fameux esprits à la puissance redoutée. La route qui y mène traverse de vastes palmeraies où des paysans travaillent la matière première que leur offre les arbres pour en extraire du sucre, de l’alcool et tant d’autres choses. Notre chauffeur nous propose de faire une halte dans l’un de ces modestes établissements. Nous sommes accueilli par une charmante famille qui nous montrera avec chaleur et gentillesse leurs occupations quotidiennes. Nous gouttons au lait de palme à différents stades de fermentation ainsi qu’au fameux sucre de palme, véritable friandise à la consistance soyeuse. Puis les villageois nous conduisent jusqu'à leurs plantations de cacahouètes et de sésames où ils nous proposent de goûter quelques spécimens. En deux temps trois mouvements, le père grimpe en haut d’un immense palmier pour nous montrer comment il extrait sa matière première. Le fils, qui travaille à presser des graines de sésames à l’aide d’un buffle afin d’en faire de l’huile me propose de le remplacer quelques instants. Il semble que l’animal n’apprécie guère ce changement de configuration car son rythme devient soudain poussif ! Et tout cela est fait sans le moindre esprit mercantile car lorsque je propose d’acheter quelques échantillons de leur production, ils refusent et me tendent un sac de sucre en me disant « Cadeau, Cadeau ! ». C’est là tout le Myanmar, et c’est pour cela qu’on l’aime. Traverser la campagne birmane est un ravissement pour l’œil. Entre les attelages de char à buffle qui avancent péniblement sur les bords de route, les femmes portant sur leur tête un lourd chargement et les enfants au visage joyeux et aux pommettes enduites de tanaka, on ne sait où donner de la tête. Une route de montagne chaotique mène jusqu’au pied de mont qui perce à peine dans la brume environnante. Il est juste 9h30 et nous descendons du van afin d’entamer la longue montée qui mène vers le sommet sacré. Deux moines nous accompagnent une bonne partie du chemin. Une colonie de turbulents macaques ont investi les lieux. Des vendeurs ambulants nous proposent d’acheter de la pour les singes. Mais j’observe que dès qu’on commence à les nourrir, ceux-ci sont prêts à tout pour s’emparer du paquet de friandise. Aussi m’abstiendrais-je ! La montée est assez éprouvante car il fait déjà lourd à cette heure. Nos pied nus pataugent dans un mélange humide de poussière et de fiantes simiesques. Certaines parties de l’ascension sont très abruptes et nous devons reprendre notre souffle à plusieurs reprises. En haut, la vue sur la vallée est saisissante mais le temps couvert gâche légèrement le panorama. Un temple a été construit au sommet il y a quelques dizaines d’années. Y cohabite paisiblement le culte des Nats et celui du Bouddha. Les édifices religieux ne présentent pas ici d’intérêt particulier. Ce qui frappe surtout, c’est l’intense méditation dans laquelle sont plongés les pèlerins, aussi bien devant les fluettes statues des Nats que devant les clinquantes représentations du parfait. Profondément imprégnés de l’atmosphère recueillie qui emplie ce sanctuaire, nous entamons la descente vers le village et retrouvons la voiture qui nous raccompagne jusqu’au Golden Express où nous arrivons à midi. Alors que Laure est partie dans la chambre piquer un petit roupillon, je regarde tranquillement dans le hall de l’hôtel la retransmission télévisée d’un match du calcio (Juventus-Lecce) avec un groupe de birmans forts enthousiastes ! La piscine de l’hôtel est un bon endroit pour continuer l’écriture de mes carnets. A l’abri des parasols naturels que constituent des arbustes adroitement taillés, j’écris ces quelques lignes. Le temps est désormais bien dégagé. Nous pouvons enfourcher nos vélos « Made in India » pour repartir à l’assaut de la plaine où nous nous perdons au gré de nos envies, sur les petits chemins de terre. Ceux-ci nous mènent dans un endroit particulièrement bucolique où nous faisons la connaissance de Ni Ni Tué, une jeune birmane qui habite avec sa famille dans ce coin préservé au milieu des pagodes. Elle nous conduit à l’étage d’un temple par un étroit escalier. La vue sur l’endroit particulièrement fleuri vaut le déplacement. Nous reprenons notre chemin, mais l’orage matinal a laissé d’énormes flaques de boues qui barrent notre route. Je suis prêt à tenter ma chance bien que Laure les considère comme d’insurmontables obstacles. Prenant tous les risques, je parviens à les franchir, non sans maculer mon pantalon de boue. Mais Laure restera irrémédiablement de l’autre côté... Soit, je dois rebrousser chemin et nous reprenons la grand route où nous profitons de la perspective de fin d’après midi du haut de la pagode Ywahaun-gyi, à l’écart des sentiers touristiques. Puis c’est de Mingalazedi que nous nous délectons de la lumière chaude de fin de journée. Nous finissons par un coucher de soleil sur le fleuve Irrawaddy de la méconnue Paya Minyeingone, conseillée par un jeune peintre sur toile qui tentera en vain de nous glisser une de ses copies assez kitsch. Notre dernier repas se fera au restaurant Nanda et son cadre enchanteur. Sur le chemin, nous ferons un détour par un atelier de laque où la qualité est au rendez vous. La nuit noire est déjà tombée mais certaines pièces de style Bagan retiennent notre attention et nous repartons après d’amusantes négociations avec 4 plateaux et un boite à bijoux. Au restaurant, nous retrouvons notre petit serveur francophone et dans la chaleur suffocante, je commence par siffler 1 litre de Myanma Beer avant de continuer par une soupe, suivie de poisson à la tomate alors que Laure déguste des crevettes aux légumes. Nous finirons le tout par des melons d’eau au citron vert offerts par la maison. Voilà, nous avons passé quatre jours inoubliables à Bagan et demain nous prenons la route de Mandalay. Pas celle chantée par Kipling, qui empruntais les eaux tourmentées du fleuves, mais celle des airs avec Yangon Airways. Bonne nuit ! |
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