« Ô, grand carré qui n’a pas d’angles, Grand vase jamais achevé, Grande voix qui ne forme pas de paroles, Grande apparence sans forme ! »

Lao-Tseu


Finalement, la nuit a été excellente malgré la dureté de la literie. Après avoir avalés un petit déjeuner sino-français dans la salle à manger de notre guest-house, nous sommes présentés à un homme sans âge qui essaie de prononcer mon patronyme. Il sera notre guide pour cette journée de découverte à travers le Shanxi. Nous quittons à pied la vieille cité de Pingyao pour rejoindre un parking dans la ville nouvelle, où nous retrouvons notre chauffeur.

Direction la maison du clan Qian, située à 50 km de là. Cette imposante bâtisse, datant de 1740, est la maison de famille d’un ancien paysan qui a renoncé à sa condition pour tenter sa chance en faisant du commerce en Mongolie intérieure. Son sens des affaires lui permettra de bâtir un petit empire commercial, constitué entre autres de nombreuses banques. De retour au pays, il construira cette maison familiale pour abriter son clan, maison qui a servi de décor au film « Epouse et concubine ». Lorsque j’évoque Gong Li, star du cinéma chinois et héroïne du film, le regard de notre guide s’illumine et il me glisse un coup d’œil complice qui en dit long sur la popularité de l’actrice au sein de la gent masculine chinoise. La maison est assez massive et austère, mais les explications de notre guide nous permettent de découvrir le mode de vie de l’époque. Ses nombreuses pièces ont été transformée en un petit musé régional qui nous plonge dans l’ambiance et les traditions du Shanxi. Nous révisons également toute la symbolique chinoise. Trois concepts centraux de la pensée chinoises sont représentés sous forme symbolique dans la maison du clan : « Lu, Fu et Shu ». Le premier mot représente le double bonheur, le second l’argent et la réussite sociale, le dernier la longévité.

Nous reprenons la route et le temps se dégrade. Une pluie fine commence à tomber et la visibilité est faible. Arrivés dans le district de Jing, il est temps de faire une pause déjeuner. Mais, le restaurant dans lequel nous avons jeté notre dévolu a été pris d’assaut par un mariage prolétaire. Lorsque nous y pénétrons, les convives en veste Mao bleu élimé, nous regardent d’un air hagard. Malgré notre insistance, il ne reste pas la moindre place. Nous devons nous replier sur un second restaurant, lui aussi pris d’assaut par un mariage. Mais par chance, il reste quelques tables. Dans sa robe de soie rouge, la jeune mariée est resplendissante. Nous ferons un repas particulièrement réussi : aubergines à la sauce aigre douce, épinards sautés, poulet aigre doux au sésame, et clou du repas, des nouilles chinoises, spécialités du Shanxi, à se relever la nuit !

Nous entamons ensuite la visite de Jingsi, le temple de Jing, dans des conditions météorologiques fort peu favorables. Nous pouvons néanmoins apprécier les trois merveilles qu’il renferme : un antique pont de pierre, des arbres trois fois millénaires, des statues d’argile de l’époque Song dédiées à la mère sacrée, fille du premier empereur de la dynastie Zhou. Le pont de l’eau éternelle, ainsi que d’énormes dragons de bois, retiennent également notre attention.

 

Notre dernière étape sera la capitale de l’état du Shanxi, Taiyuan, signifiant littéralement « grand et large ». Je vous laisse imaginer le type de ville que nous avons découvert. Avec ses 2.3 millions d’habitants, Taiyuan est un des bastions de l’industrie lourde chinoise. Au cœur de l’un de ses faubourgs, nous faisons une halte au temple des pagodes jumelles. Outre les deux pagodes de 27 m de hauteur, datant de l’époque Ming et dominant le site, nous nous délectons des délicats parfums de ses jardins, généreusement garnis de pivoines trois fois centenaires. La pivoine est la fleur nationale chinoise et de superbes spécimens sont exposés sous nos yeux. Le temple n’est plus habité et les deux pagodes sont aujourd’hui présentées comme des symboles protecteurs de l’état du Shanxi.

Il est maintenant plus de 18h, nous nous dirigeons vers un hôtel restaurant du centre ville où nous prendrons notre dîner avant de regagner en train la capitale. Mais, la route est fort encombrée et notre chauffeur devra plusieurs fois rebrousser chemin. Alors que notre guide lui indique de tourner à droite, celui-ci tergiverse, visiblement énervé, puis entre dans une grosse colère. Il élève la voix, pousse des hurlements qui dureront un bon quart d’heure après que nous soyons arrivés au restaurant. Nous ne comprendrons jamais la raison d’un tel courroux, mais cela fait du bien quand les hurlements cessent. Le restaurant est assez luxueux, mais la nourriture ne se montre pas tout à fait à la hauteur. D’étranges saucisses aux courgettes nous laisseront pantois ! Néanmoins, nous dégusterons une dernière ration de nouilles chinoises du Shanxi. Après le repas, une intéressante discussion avec notre guide nous confirmera que la nouvelle valeur fondamentale de la Chine est l’argent. Je perçois un peu d’amertume dans ses paroles.

Nous reprenons la route de la gare. Affalés dans de confortables fauteuils de la salle d’attente réservée aux VIP, nous attendons l’heure du départ. L’express de nuit Taiyuan-Beijing ne part qu’à 21h00. A peine le temps de se reposer que le contrôleur nous indique qu’il est possible de monter dans le train. Nous prenons congé de notre guide et nous nous installons dans le confortable compartiment de la classe « couché mou ». Nous devons partager cette fois-ci la cabine avec deux fonctionnaires chinois en costume sombre. Mais ceux-ci, sur l’injonction autoritaire d’une femme en uniforme, devront laissé leur place à un couple d’allemand à la recherche de deux places dans la même cabine. Ici, on ne badine pas avec l’autorité.

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